Optimiser l’éducation thérapeutique à l’interface ville-hôpital : pistes et leviers pour nos territoires

Comprendre l’éducation thérapeutique à l’heure de la transformation de notre système de santé

Selon l’OMS, l’éducation thérapeutique du patient (ETP) vise à aider les patients à acquérir ou maintenir les compétences dont ils ont besoin pour gérer au mieux leur vie avec une maladie chronique. Mettre en œuvre l’ETP, ce n’est donc pas seulement transmettre de l’information : c’est coconstruire, accompagner, souvent dans la durée et au plus près du quotidien des personnes concernées.

En France, le virage ambulatoire accéléré depuis 2010 – c’est-à-dire la volonté de soigner de plus en plus hors hôpital – oblige les professionnels à inventer de nouveaux modes d’accompagnement pour garantir la qualité et la sécurité des parcours. Aujourd’hui, selon l’Assurance Maladie, près de 40 % des séjours hospitaliers concernent des patients atteints de maladies chroniques – des pathologies pour lesquelles l’ETP est une composante essentielle du suivi. Les enjeux de coordination ville-hôpital autour de l’ETP sont, de ce fait, décisifs pour la vie des patients.

Pourquoi la coordination ville-hôpital est-elle le maillon faible de l’ETP ?

Malgré une offre de programmes ETP croissante (plus de 3 700 programmes déclarés en France, chiffres HAS 2023), force est de constater que la continuité entre hôpital et ville laisse souvent à désirer. Quelques raisons bien identifiées :

  • Un manque de visibilité sur les programmes en ville : Pour beaucoup de patients hospitalisés, l’ETP débute à l’hôpital, mais il est rare qu’ils soient systématiquement orientés vers des sessions ou ateliers animés en ville, par des maisons de santé ou réseaux.
  • Des freins administratifs et réglementaires : Les programmes ETP sont soumis à des procédures d’autorisation longues et rigides, ce qui décourage certaines structures de proximité à se lancer (source : Fédération Hospitalière de France, 2022).
  • La complexité à mobiliser des professionnels formés : Selon la DREES (2023), moins de la moitié des médecins généralistes et à peine 1/3 des infirmiers libéraux du territoire sont formés à l’ETP, faute de sensibilisation durant leur cursus ou de temps disponible.
  • Des outils numériques peu interopérables : Alors que le Dossier Médical Partagé (DMP) progresse, la transmission ciblée des données ETP, et surtout l’usage régulier par tous les soignants de ville reste très inégal.

Illustration locale : l’exemple du Sud Ardèche avec Diabète et Partage

En Sud Ardèche, l’association Diabète et Partage tente depuis 5 ans d’articuler des ateliers en ville pour jeunes adultes diabétiques avec ceux proposés au centre hospitalier d’Aubenas. Mais faute d’outils de liaison efficaces et en l’absence de référent transversal, seuls 20 % des patients débutant un programme ETP à l’hôpital poursuivent effectivement en secteur ambulatoire.

Quelles solutions pour relier (vraiment) la ville et l’hôpital en ETP ?

Des territoires s’organisent pour dépasser ces clivages institutionnels. Voici une synthèse des stratégies les plus innovantes, testées dans plusieurs départements ruraux ou périurbains – dont certains peuvent inspirer le Sud Ardèche.

1. Créer des cellules de coordination intersectorielles dédiées à l’ETP

  • Rôle de ces cellules : Mettre en lien les patients sortants de l’hôpital avec les programmes ETP en ville, suivre les dossiers, assurer la continuité pédagogique et logistique.
  • Expérience du Pays du Voironnais (Isère) : Un poste ad hoc financé par la Communauté de communes a permis d’augmenter de 60 % le « taux de relais » ETP ville-hôpital sur un an (source : GCSMS Pays Voironnais).

2. Valoriser le rôle pivot des maisons de santé pluriprofessionnelles (MSP) et communautés professionnelles territoriales de santé (CPTS)

  • Pourquoi miser sur les MSP et CPTS ? Elles fédèrent médecins, soignants, pharmaciens, psychologues, éducateurs et sont déjà identifiés par les patients comme relais de proximité. Leur implication dans l’ETP fluidifie l’accès et favorise la coordination.
  • Chiffre-clé : En 2023, selon le site Ameli, plus d’un tiers des CPTS françaises anime ou coordonne des actions d’ETP sur son territoire.

3. Miser sur les médiateurs en santé et les patients experts

  • Immersion dans la vraie vie : Former des patients experts à accompagner d’autres patients : cette approche bénéficie d’un taux d’adhésion supérieur (jusqu’à +40 % selon l’ANAP, 2022), car elle réduit la distance soignant-soigné.
  • En Ardèche méridionale, des patients ayant vécu un cancer du sein co-animent désormais certains ateliers, sous la houlette d’associations locales. Résultat : des groupes plus diversifiés et une parole libérée.

4. Outiller et former les soignants libéraux à l’ETP et à la coordination

  • Diverses formations courtes en e-learning, labellisées par les Agences Régionales de Santé ou organismes partenaires, permettent aujourd’hui à des infirmiers, kinésithérapeutes ou pharmaciens de s’initier ou se perfectionner à l’animation et la coordination d’actions ETP, souvent sur le temps de la formation continue (voir HAS.fr).

Quels outils numériques pour fluidifier la coordination ETP ?

L’usage du numérique est considéré comme le principal levier pour passer d’une coordination « par étapes » à une coordination « en continu ». Mais toutes les solutions n’apportent pas la même valeur ajoutée.

  1. Dossier de coordination partagé : En Occitanie, l’outil « ViaTrajectoire Santé », déjà utilisé pour les retours à domicile complexes, intègre depuis 2022 un volet spécifique ETP. Il facilite le repérage des programmes disponibles en ville pour chaque patient sortant d’hospitalisation.
  2. Agenda partagé : Certaines CPTS expérimentent des modules d’agenda mutualisé permettant à l’hôpital de directement programmer un atelier d’ETP en ville ou, au contraire, d’alerter le patient et son médecin traitant des plages disponibles.
  3. Plateformes mobiles d’accompagnement : Initiatives comme « Mon ETP en ligne » (Bourgogne-Franche-Comté) permettent de suivre à distance l’acquisition de compétences patients, grâce à des quiz, vidéos et forums animés par des pairs. Cette plateforme a déjà fédéré plus de 1 500 patients diabétiques, avec un taux de satisfaction de plus de 90 % (source : ARS BFC).

Les clés pour réussir à l’échelle d’un territoire : focus sur démarches concrètes

1. Cartographier l’offre existante et rendre lisibles les parcours

  • La cartographie des dispositifs ETP doit être adaptée et mise à jour, en langage clair, à destination des professionnels ET des usagers. Exemples : carnet d’adresses partagé, flyers synthétiques diffusés en salles d’attente, QR codes pointant vers des plateformes locales.

2. Encourager le décloisonnement par des réunions régulières

  • Instituer des temps d’échange réguliers (ateliers, staff mixtes, groupes de concertation) pour travailler des cas concrets. Exemple : la MSP de Joyeuse réunit tous les deux mois praticiens de ville et hospitaliers pour coder des parcours ETP adaptés aux jeunes asthmatiques, aboutissant à une division par deux du taux d’absences aux ateliers.

3. Renforcer les financements incitatifs

  • Selon une enquête menée par France Asso Santé en 2023, la possibilité de financer des temps de coordination et d’accompagnement en ville est un moteur majeur d’engagement pour les professionnels libéraux. L’expérimentation IPEP (Incitation à la Prise en charge Partagée) valorise désormais certains actes de coordination liés à l’ETP.

4. Sensibiliser les patients dès leur hospitalisation ou consultation spécialisée

  • L’orientation précoce, avec remise d’un « passeport ETP », donne au patient une feuille de route simple, listant les ateliers adaptés, les contacts clés, éventuellement un calendrier des prochaines sessions. Ce principe, testé dans plusieurs établissements mutualistes, augmente sensiblement l’assiduité en ville.

Perspectives pour nos territoires : l’ETP comme catalyseur de la démocratie en santé

Renforcer l’ETP à l’interface ville-hôpital, ce n’est pas seulement garantir un meilleur « suivi » des patients : c’est acter, collectivement, que le soin ne se réduit pas à l’acte ou au médicament. À l’heure où les marges de manœuvre financières et humaines sont contraintes, la coordination autour de l’ETP est aussi un levier de solidarité concrète et d’apprentissage partagé, capable de redonner du sens et du pouvoir d’agir à tous les acteurs – professionnels comme patients.

Dans le Sud Ardèche – comme ailleurs –, capitaliser sur les expériences, soutenir les relais existants et inventer des outils simples mais efficaces doit être au cœur de nos réflexions locales. Un défi stimulant, qui invite chacun à dépasser son périmètre pour, en somme, co-construire un véritable écosystème de santé de proximité et d’empowerment.

Sources : OMS, HAS, DREES (rapport 2023), France Asso Santé, Fédération Hospitalière de France, ANAP, ARS BFC, GCSMS Pays Voironnais, Assurance Maladie, Ameli.fr, entretiens et retours terrain de professionnels Sud Ardèche.

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